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Un après-midi ordinaire (on dit)


>200 pages, 10 euros (port compris France métropolitaine)


Extrait :

« POURQUOI PAS NOUS !!????? ». Ddass est en colère.
Il a parlé plus fort que lui.
« Parce qu’on s’en branle »
C’est le gars qui répond, il a compris.
Les meufs baillent aux corneilles – même s’il n’y en a pas ici.
« Parce qu’on s’en branle…On s’en branle, Ddass…ce truc Negresco, c’est juste bon à cramer – et encore – ça va puer le silicone brûlé et le rôti de caniche. D’ailleurs, dans silicone, y’a conne. On s’en branle, Ddass… C’est pas ça, maître du monde. Ça, c’est du pipeau pour les branlos…C’est juste pour ceux qui CROIENT être maîtres du monde…mais c’est pas ça…Qu’est-ce t’en a à foutre des étoiles Michelin ? Lève les yeux, mate le ciel…»
Ddass est dubitatif (même s’il ne sait pas ce que ça veut dire).
« Mais moi…j’ai PUTAIN D’ENVIE DE PRENDRE UN BAIN DANS UNE BAIGNOIRE DORéE, AVEC PLEIN DE MOUSSE, ET DU CHAMP’, ET DU COGNAC, ET LA GRANDE TéLé !!!!!!!!, ET UNE MEUF PLEINE DE SILICONE !!!!! »
Ddass est un peu en colère – et sale et affamé.
« ET UN PAQUET DE CLOPES !!!!! »
Le gars regarde à son tour ses baskets, des Stan Smith crados avec des lacets violets. Il cherche – à 200 kilomètres par heure – le rapport entre ses pompes peraves et les couloirs du palace planté en face. Il ne trouve pas.
Les filles les regardent, un peu incrédules.
« Moi aussi j’prendrais bien un bain, avec toi» déclame Cathy.
« Et j’ai pas de silicone », elle ose.
Le gars regarde encore ses baskets Stan Smith crados. Toujours pas de rapport avec les moquettes épaisses du palace là-devant.
« Tu fais chier, Ddass…moi c’est comme toi. Mais c’est pas pour nous. Voilà. Pas pour nous. C’est comme ça…Pas la peine de se prendre le cigare…»
Silence…
Le gars toujours les yeux sur ses baskets Stan Smith crados, avec des lacets violets.
« Demain on s’fait une vieille», il dit doucement en maugréant – « Demain on s’fait une vieille»…

Le ressac


>Edition collector, 210 pages, 10 euros (port compris France métropolitaine)


Extrait :

Je préfère le soir. Mais l’été.
Le bitume encore tiède rayonne la chaleur accumulée dans la journée.
Le calme est revenu sur la piste. C’est bientôt l’heure de la fermeture. La marmaille a mangé. Les insectes cousins (le grand machin maladroit de la famille des culicidés) et les papillons et les moustiques tournent autour des gros néons accrochés à l’auvent, au-dessus de la piste.
Les pompes ont cessé leur débit infernal. Au repos, elles aussi. Le soleil disparaît bientôt. Illuminant comme chaque soir ma cervelle d’images pourpres et oranges et bleues.
Une autre nuit arrive à la station. Sur la Nationale 113. À la sortie d’Arles, juste après le pont métallique qui enjambe le petit-Rhône.
Le relais de Collongues ça s’appelle.
Durant le jour, en été, ce n’est que bruit, agitation et chaleur.
Tous ces gens qui passent - en voiture, en minibus, en camion, en moto, en troupeaux de scooters Vespa, certains même à pied - qui se dirigent vers l’Espagne ou les plages plus proches.
Un flux incessant, rythmé par le bruit des pompes qui se mettent en marche et puis s’arrêtent. Les portières qui claquent, les enfants trop heureux de se dégourdir, les grand-mères fatiguées que l’on traîne aux toilettes, ceux qui réclament à boire ou à manger, ou combien ça coûte en Lire, en Pesetas, en Deutsche mark RFA, en Florins - en anciens Francs aussi - ou un renseignement, ou de l’huile, ou une dépanneuse. Même une fois un mec tout nu descendant comme ça de sa bagnole, ou une célébrité vraiment célèbre qui comme tous les autres a besoin du fluide vital - l’essence - pour continuer sa route et sa vie.
Ils sont comme vous les gens célèbres; ils ont besoin de pisser d’un côté et faire le plein de l’autre.
C’est la station.
L’endroit où sont les cuves et les pompes à fluide vital. Qui tournent à plein régime tout l’été avant de s’assoupir pour l’hiver. Le fluide vital qui irrigue la route, là devant moi. La lueur des phares jaunes qui grandit en même temps que le bruit du moteur, et qui disparaît en deux points rouges.
Le bitume a refroidi maintenant. J’ai digéré mon repas. Je regarde le patron relever les chiffres sur les pompes sous l’auvent éteint.
Il se dirige vers moi et m’appelle.
“Pouny, on rentre”.
Je me mets sur mes pattes en m’ébrouant (ben oui j’en ai quatre).
Ah, j’ai pas pensé à vous dire, je m’appelle Pouny. Ne riez pas, ce n’est pas moi qui ai choisi. J’ai quatre pattes plutôt courtes, je suis du genre râblé, un corps style bidon allongé, et un poil noir et ras avec des fois des tiques planquées dedans (c’est une station-service ici...). Je suis un bon bâtard sympa et fidèle.
Bon d’accord, moi Pouny je parle pas, mais au moins je peux me lécher la bite tout seul. Et je suis sûr que si les humains pouvaient faire pareil, ça irait beaucoup mieux.
Je l’ai dit, ici c’est Arles. Alors pas loin il y a des taureaux. Des costauds. Du genre comme moi, râblé au poil noir et ras. Mais en plus grand et avec des cornes.
C’est pour ça que je suis sûr de finir en saucisson. Comme eux les vaillants taureaux. Parce qu’ici les taureaux finissent toujours en saucissons. Même les costauds qui combattent aux arènes, ils sont tous pendus là. Entre les pompes, sur un présentoir métallique peint en blanc. C’est marqué sur l’étiquette “véritable saucisson d’Arles - viande de taureau”. Une étiquette jaune et rouge avec dessus le dessin de la tête au taureau - enfin la tête que faisait le taureau avant de savoir qu’il finirait là, emballé dans un papier aluminium, suspendu par une ficelle, se balançant au gré du vent dans les effluves de gasoil et de super plein de plomb.